Les crématistes

Fédération française de crémation

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J’t’ai dans la peau !

9 mai 2021

Mais où s’arrêtera-t-on ? Le commerce s’est toujours adapté à nos plus secrets désirs. En matière de deuil, par exemple, rien n’est trop beau pour nos chers disparus. Les attentions qu’on leur prodigue ne sont que du théâtre pour ceux qui restent. Et puis, les boutiquiers de la mort jouent sur la fibre de la culpabilité pour nous inciter à consommer. J’ai encore entendu récemment chez un opérateur funéraire. « vous n’allez pas la laisser partir comme un chien !? »  …Ces chiens, qu’on tatoue pour ne plus les perdre.

A ce propos, aux États-Unis, un fabricant d’encres vient d’en inventer une toute spéciale. Le tatouage est une pratique attestée depuis le célèbre Ötzi, assassiné dans les Alpes italo-autrichiennes il y a 5 600 ans. Ceux qu’il portait sont interprétés par les scientifiques comme ayant eu des vertus thérapeutiques au moins pour lui. On en connaît sur des momies égyptiennes, c’est dire si ce sont des traces universelles de l’humanité dans l’espace et dans le temps. Décorations, dessins de rituels de passage ou d’initiation, ils sont d’abord des signes d’appartenance et de reconnaissance de membres d’un groupe humain particulier.

Ils pouvaient être infamants dans un passé pas si lointain. Il y a 2500 ans à Athènes, une chouette sur le front avait vite fait de vous signaler comme esclave et, plus tard, à Rome, l’initial de son propriétaire à la place de la chouette, faisait dire à l’écrivain Suétone : « Il n’y a pas plus lettrés que les Nubiens ». On savait rire… C’est encore à Rome que le tatouage devient « stigma » (stigmate), la marque d’infamie pour remplacer le petit coup de fer rouge sur la chair du condamné. 2000 ans plus tard, un numéro sur son poignet signalera à ses bourreaux celle ou celui qui n’était même plus un homme.

On constate depuis la fin de cette époque abominable que nombres de nos pratiques sociales ont débarqué d’outre-atlantique à pleines cales. Le Plan Marshall nous a ouvert les portes de l’hyper consommation, du rock’n roll et de la standardisation. Un jour ou l’autre, les manies des américains arrivent sur le vieux continent et nous envahissent. C’est inéluctable. On nomme cela « la mondialisation », un gros mot pour désigner destruction des diversités culturelles et nivellement de la pensée. Un tout nouvel engouement pour une forme particulière de tatouage fait couler beaucoup d’encre là-bas. Grâce à « Cremation Ink », on peut désormais se faire représenter n’importe quoi sous la peau avec les cendres de sa ou de son cher disparu après sa crémation.

En France, le législateur a prévu, dans sa loi de 2008, que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort : Art. 16-1-1. « Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence. » Alors, question : « le tatoué » (Jean Gabin, dans un film de 1968 de Denys de la Patellière), avait un tatouage de Modigliani dans le dos. Admettons que l’encre qui a servi à sa réalisation ait été fabriquée avec les cendres d’une personne qui lui était cher ; serait-ce lui manquer de respect, de dignité et de décence que l’œuvre soit dessinée par un artiste dont le moindre dessin vaut aujourd’hui entre 10 000 et plus d’1 000 000 € ? Le dignitomètre de notre ami Marc Mayer n’est toujours pas sorti des chaînes de production de l’éthique…

Selon un article récent du « Canard Enchaîné », toute la bimbeloterie que paie la sécu pour remplacer nos genoux et nos hanches qui coincent ou la quincaillerie qui va bien pour réduire nos fractures, cette bimbeloterie devrait être rendue aux familles en tant qu’objet personnel du défunt après sa crémation. Voilà bien une curieuse décision alors qu’il serait si simple de rendre la valeur de son retraitement à la Sécu elle-même.

Mais alors, qu’en faire ? Que nos fashionistas françaises ne se réjouissent pas trop vite à l’idée de se faire faire le coquet tatouage facial à la cendre de Papy, avec ses prothèses en alliage de chrome dans le nez ou pendues aux oreilles pour ressembler à un chef Maori d’un autre âge – la classe ! Non ? -, parce que, dans ce cas, si les prothèses sont bien traitées comme des déchets et seront de ce fait recyclées en, disons, bijoux(1) de la famille, la loi « Sueur » de 2008 déjà citée, veut que les cendres bénéficient de la même considération légale que le corps d’un défunt, on ne peut les diviser. Pas question donc de les incorporer à une encre si peu sympathique qu’elle ne pourra même pas servir de vecteur à l’inspiration d’un artiste.

 

(1) Elles le sont actuellement, et pour une bonne part, transformées en pièces pour l’aéronautique. C’est la redistribution du montant de ce commerce qui pose problème.